Gaza. Le retour du Hamas à la tactique de la guérilla

Malgré la poursuite des bombardements sur Gaza, les lourdes pertes et l’assassinat de nombre de ses dirigeants, le Hamas a réussi à reconstituer ses forces. L’adaptation de ses tactiques à un combat urbain que l’organisation maîtrise rend difficile pour les troupes israéliennes l’occupation de la bande, malgré leur nette supériorité militaire.

Un soldat masqué en uniforme surveille une grande foule au sein d'un bâtiment.
Gaza-ville, le 28 février 2025. Un membre du Hamas et des civils palestiniens assistent à une cérémonie funéraire pour 40 militants et civils tués pendant la guerre avec Israël, dans le camp de réfugiés palestiniens de Shati, au nord de la ville de Gaza, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu (mis en place le 19 janvier 2025, rompu par Israël dans la nuit du 26 au 27 février 2025).
BASHAR TALEB / AFP

Le 18 août 2025, le Hamas a accepté une nouvelle proposition de cessez-le-feu à Gaza. L’accord soumis par l’Égypte et le Qatar reprenait largement les propositions antérieures des États-Unis — qu’Israël avait d’abord soutenues, sans les approuver. Il prévoyait la libération de dix des 20 otages israéliens encore en vie, en échange d’une trêve de 60 jours. Contrairement aux propositions précédentes, le Hamas n’a demandé aucune modification du document et l’a accepté en quelques heures. Jusqu’à présent, Israël n’a pas donné suite à cette offre.

Changement de tactique

De nombreux observateurs ont interprété cette approbation immédiate par la partie palestinienne comme une marque de faiblesse, voire de désespoir. Selon cette lecture, au terme de près de deux années de bombardements et de siège incessants menés par Israël sur Gaza, l’assassinat des principaux dirigeants du Hamas et les attaques massives contre ses alliés dans la région, y compris l’Iran et le Hezbollah, le Hamas aurait désormais très peu de cartes en main.

Néanmoins, l’acceptation rapide de l’accord pourrait être autant une manœuvre stratégique qu’un signal de détresse. Certes, l’organisation politique du Hamas a subi de lourdes pertes et son autorité sur Gaza en ruines est fragile. Pourtant, malgré la destruction croissante, ses combattants sont demeurés actifs. Depuis le printemps 2025, ils ont intensifié les attaques contre les forces israéliennes à travers la bande, y compris une offensive de grande ampleur contre une base israélienne le 20 août, ainsi que d’autres opérations en juin et juillet ayant tué plusieurs soldats israéliens. Dans le même temps, ils ont accru leur coordination avec d’autres groupes armés à Gaza et renforcé leurs rangs, alors que la famine s’est généralisée au sein de la population.

Espoirs déçus

La résilience du Hamas repose sur une évolution de son approche de la guerre, qui a encore relevé les enjeux. Elle pourrait transformer la nouvelle campagne israélienne visant à s’emparer de Gaza-ville en un désastre militaire autant qu’humanitaire.

Pour comprendre la stratégie de survie du Hamas, il est nécessaire de retracer la mutation de ses objectifs. Lorsqu’elle a ordonné ses attaques du 7 octobre, la direction du Hamas à Gaza pensait que l’opération entraînerait rapidement ses alliés régionaux dans la guerre et provoquerait un soulèvement généralisé des Palestiniens, voire du public arabe. En somme, elle s’attendait à une répétition en plus grand de mai 2021, lorsque la confiscation par Israël de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est avait déclenché une réponse collective sans précédent : soulèvements en Cisjordanie et dans des villes israéliennes, tirs de roquettes du Hezbollah et d’autres alliés depuis le Liban et la Syrie et barrage massif de roquettes par le Hamas depuis Gaza. Le 7 octobre devait reproduire cette « union des fronts », mais à une échelle bien plus large.

Au terme de près de 700 jours de guerre, ces objectifs sont déçus. À la suite de l’attaque unilatérale du Hamas depuis Gaza, les Palestiniens d’Israël ne se sont guère mobilisés, tandis que ceux de Cisjordanie ont été soumis à une répression israélienne intense. La plupart des alliés régionaux du Hamas sont restés en retrait. Le Hezbollah, malgré son arsenal puissant au Sud-Liban, a cherché à contenir plutôt qu’à élargir le conflit ; puis, en septembre 2024, il a été décapité par l’« opération bipeurs » israélienne. En décembre 2024, [la chute du régime de Bachar Al-Assad a coupé des routes d’approvisionnement militaires cruciales.

L’effondrement de ces fronts extérieurs s’est ajouté aux difficultés rencontrées à Gaza. Après la rupture du cessez-le-feu en mars 2025, Israël a d’abord concentré ses efforts sur les bombardements aériens, limitant les incursions terrestres. L’absence de combats urbains a empêché le Hamas de prendre l’initiative, le réduisant souvent au rôle de spectateur impuissant face aux massacres. Entre-temps, Israël a réoccupé une grande partie de la bande. Associée au blocus total de l’aide imposé en mars 2025, cette nouvelle offensive israélienne a aggravé la détresse de la population.

Réévaluation tactique

Les forces du Hamas ont alors changé d’approche. Le 20 avril 2025, un petit groupe de combattants a organisé une embuscade depuis un tunnel à Beit Hanoun, dans le nord de Gaza, dans une « zone tampon » contrôlée par Israël. Utilisant des lance-roquettes et des bombes artisanales, ils ont renversé un véhicule militaire israélien, tué un soldat et blessé plusieurs autres. Depuis, des groupes similaires ont multiplié ces actions à travers la bande. Le 24 juin, les Brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, ont tué sept soldats israéliens à Khan Younès, dans le sud de l’enclave. Le 7 juillet, encore à Beit Hanoun, ils ont attaqué un convoi de chars à quelques mètres de la frontière, tuant cinq soldats et en blessant quatorze. Le 15 juillet, à Jabaliya, toujours dans le nord, trois autres soldats ont été tués dans une embuscade visant une équipe d’ingénieurs israéliens. Le 22 juillet, à Deir El-Balah, une opération a ciblé un convoi militaire et un char de combat Merkava.

Ces attaques se sont intensifiées et ont gagné en audace. Mi-août, alors que l’armée israélienne reprenait ses incursions dans les zones résidentielles, les opérations du Hamas se multipliaient à l’est de Gaza-ville, notamment dans les quartiers de Tuffah, Zaytoun et Chajaya. Le 20 août, 18 combattants ont mené une attaque coordonnée contre un campement militaire israélien à Khan Younès, utilisant des roquettes et des mitrailleuses à courte portée — une opération d’ampleur, possiblement destinée à capturer des soldats, qui a exigé une préparation et une coordination considérables.

Ces actions s’inscrivent dans une réévaluation tactique du Hamas, qui cherche à transformer les objectifs élargis d’Israël en autant d’opportunités. Malgré la supériorité militaire écrasante de l’État israélien, l’organisation mise sur la guerre asymétrique et la détermination de ses combattants. Alors qu’Israël réduisait ses incursions urbaines, elle a commencé à cibler les soldats dans les « zones tampons ».

Comme l’ont reconnu des responsables israéliens, le Hamas a reconstitué ses forces, même dans des secteurs que l’armée pensait avoir « nettoyé ». Aujourd’hui, alors qu’Israël cherche à s’emparer de larges portions de Gaza-ville, il doit affronter une guérilla urbaine dans un terrain connu par cœur du Hamas. Ces tactiques pourraient être particulièrement efficaces dans le labyrinthe des ruines de Gaza-ville, où le Hamas dispose encore d’un vaste réseau et où Israël avait jusqu’ici évité des incursions majeures.

Une autre forme de puissance

En dépit de l’isolement extérieur et de la pression croissante, les combattants du Hamas ont fait preuve d’une étonnante capacité de résistance. La faculté du mouvement à renouveler ses effectifs est une caractéristique ancienne : il a toujours réussi à garder un ancrage fort dans la société palestinienne malgré de lourdes pertes. La guerre actuelle ne fait pas exception. La mort de dirigeants majeurs — Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza et cerveau des attaques du 7 octobre ; Mohammed Deif, chef militaire ; et Marwan Issa, son adjoint — n’a eu que peu d’impact visible sur sa capacité opérationnelle.

Le nombre exact de combattants reste flou. Mi 2024, Israël affirmait que 17 000 militants avaient été tués depuis octobre 2023, dont « la moitié de la direction » militaire. Mais en mai 2025, des sources israéliennes reprises dans une base de données révélée par The Guardian et le magazine en ligne +972 reconnaissaient seulement la mort de 8 900 combattants (du Hamas et du Jihad islamique) nommément identifiés. Des services américains estimaient même que le Hamas avait pu recruter jusqu’à 15 000 nouveaux combattants depuis le début de la guerre. Si ces chiffres sont corrects, plus de 80 % des 53 000 morts recensés en mai 2025 depuis octobre 2023 sont donc des civils1.

Paradoxalement, l’escalade israélienne nourrit la résilience du Hamas. Le désespoir croissant des civils de Gaza a provoqué des protestations anti-Hamas, notamment après le blocus total de l’aide en mars. L’organisation palestinienne a tantôt toléré ces manifestations, tantôt les a réprimées. Mais Israël a aussi cherché à exacerber les divisions en armant une milice anti-Hamas à Rafah dirigée par Yasser Abou Shabab, un trafiquant notoire évadé de prison et qui a des liens avec le Fatah. Selon l’ONU, cette milice détourne des convois d’aide, alimentant l’idée que le Hamas volerait la nourriture — une stratégie de division qui vise à préparer le « jour d’après » à Gaza.

Cependant, cette approche a aussi renforcé la résistance populaire : de nombreux Gazaouis perçoivent désormais la guerre comme une entreprise d’extermination. L’impopularité de la milice d’Abou Shabab est telle que sa propre famille a demandé sa mort. Dans le même temps, de jeunes Palestiniens non formés rejoignent de plus en plus les Brigades Al-Qassam pour mener des actions de guérilla. Malgré les bombardements et la fragmentation du territoire, la capacité d’action armée n’est pas éradiquée.

Un autre atout essentiel du Hamas reste son réseau de tunnels. Même après des mois de bombardements et l’usage de technologies avancées, Israël n’a pas réussi à détruire cet « État souterrain », qui permet de cacher des otages, de protéger les combattants et de lancer des attaques. Cette incapacité est la marque de l’asymétrie du conflit : d’un côté, des systèmes d’armement sophistiqués et coûteux, de l’autre, des roquettes artisanales et des tunnels.

Isolé, mais pas seul

Bien que le Hamas ait espéré un soutien régional après le 7 octobre, son organisation à Gaza a toujours agi de manière autonome. Le groupe n’a pas partagé les détails de l’attaque avec ses alliés de l’« axe de résistance » et en a été manifestement le seul instigateur. En compensation, il a resserré ses liens avec d’autres factions à Gaza, notamment le Jihad islamique avec lequel il collabore depuis longtemps. Leur salle des opérations communes, créée en 2006, coordonne désormais une douzaine d’organisations palestiniennes.

Récemment, des fissures sont néanmoins apparues dans cette coalition : certaines factions ont demandé au Hamas de mettre fin à la guerre et critiqué sa lenteur à accepter un cessez-le-feu — ce qui pourrait expliquer l’acceptation immédiate de la proposition du 18 août 2025. Mais la détermination à continuer le combat reste partagée : pour les Brigades Al-Qassam, seule la pression militaire pourra forcer le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à accepter un cessez-le-feu durable.

Israël entre le Hamas et l’enclume

Après deux ans de guerre, les forces et faiblesses du Hamas sont presque l’inverse de celles d’Israël. Celui-ci dispose d’immenses ressources militaires, mais peine à mobiliser assez de troupes pour son invasion de Gaza-ville ; le Hamas, malgré des pertes massives, continue de recruter. Tandis qu’il intensifie ses opérations, Israël perd davantage de soldats au sol et rencontre des difficultés à faire venir ses réservistes.

La proposition de cessez-le-feu du 18 août n’était pas nouvelle. Inspirée d’un plan antérieur de l’émissaire étatsunien Steve Witkoff, elle prévoyait un retrait total des troupes israéliennes et permettait à Israël de reprendre la guerre au terme de deux mois de halte. Le Hamas avait déjà accepté des versions similaires auparavant. Nétanyahou, cependant, aborde ces propositions non comme des négociations, mais comme un moyen d’obtenir par la politique ce qu’Israël n’a pu obtenir par la force. Fin août, il a exigé un accord « tout ou rien » que les médiateurs jugent irréalisable.

Nétanyahou tente désormais de pousser l’armée à entrer dans les tunnels de Gaza-ville, malgré l’opposition des responsables militaires qui estiment qu’une telle opération prendrait plus d’un an et serait extrêmement dangereuse. Faute d’avoir atteint ses objectifs contre le Hamas, Israël a intensifié ses attaques au Liban, en Syrie, au Yémen et même contre l’Iran, pour détourner l’attention de son échec à Gaza. Ainsi se creuse un gouffre entre l’image de la guerre que le gouvernement israélien veut projeter et la réalité sur le terrain.

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1Yuval Abraham, «  Israeli army database suggests at least 83% of Gaza dead were civilians  », +972 Magazine, 21 août 2025.

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