
Premier rappel salutaire dans le livre de Pascal Boniface, Permis de tuer, le fait que tout n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Depuis 1967, « la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est est illégale. L’annexion de Jérusalem-Est est illégale. Le blocus de Gaza est illégal ». La guerre à Gaza est le dernier exemple en date de cette violation par Israël du droit international au prétexte récurrent que son existence est en jeu.
Même si la décision de la chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) de délivrer un mandat d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant, son ex-ministre de la Défense, a pu donner l’impression que la justice internationale s’emparait du dossier, depuis rien n’a changé. Les crimes de guerre comme les crimes contre l’humanité se sont poursuivis et intensifiés ; un génocide est en cours.
Cette incapacité à agir efficacement pour mettre un terme aux massacres se reflète à l’ONU où, avertit Boniface, « les choses sont simples. Dans la grande majorité des cas, les résolutions obligatoires qui exigent quelque chose d’Israël sont bloquées par un veto des États-Unis. »
« Amnesty International, Human Rights Watch… Quand l’humanitaire fait le jeu du Hamas »
Aux côtés des juridictions internationales, des ONG humanitaires se sont employées à dénoncer « un piège mortel » pour les Palestiniens1. Un constat qui, très rapidement, après le déclenchement de la guerre par Israël, est devenu une évidence dès lors que les morts et blessés se sont accumulés et que, progressivement, la famine s’est installée. Une réalité que les médias ont mis des mois à accepter, et encore de manière timide et sans jamais remettre en cause le récit qu’ils avaient propagé depuis le 7 octobre 2023. Mais il y a encore Franc-Tireur qui, dans son édition du 24 janvier 2024, a débusqué les vrais coupables : « ONG au service du pire : Amnesty International, Human Rights Watch… Quand l’humanitaire fait le jeu du Hamas. »

Cette partialité dans la prise en compte de la « destruction directe de la population palestinienne » (Amnesty International) s’examine au trébuchet de ce que pèse la guerre russo-ukrainienne dans les discours de la plupart des politiciens et des médias où l’agresseur est, à juste titre, vilipendé. A contrario, les massacres perpétrés par l’armée israélienne sont le plus souvent minorés ou justifiés en recourant à l’argument qui voudrait que dans chaque hôpital rasé, dans chaque école bombardée, dans chaque maison détruite, se sont réfugiés des « terroristes » du Hamas. Ce que, le 18 janvier 2024, s’est évertué à justifier Isaac Herzog, le président d’Israël, au Forum de Davos : « Sous chaque matelas de n’importe quelle maison à Gaza, il y a une roquette. »
Cette approche du conflit repose sur ce que Pascal Boniface appelle « un biais médiatique occidentaliste ». Il est illustré par le positionnement d’Israël, membre revendiqué de l’Occident depuis sa fondation en 1948, choix confirmé par les assertions sans ambiguïté de son actuel premier ministre : « Nous faisons partie de la culture européenne… L’Europe se termine en Israël2 », ou bien encore, en décembre 2024, lors de ses vœux aux communautés chrétiennes en Israël : « Israël mène le monde dans le combat contre les forces du mal et de la tyrannie… ».
Un occidentalo-centrisme guerrier
Une phraséologie qui, en Occident, nourrit inévitablement l’islamophobie et le fameux « concept » d’islamo-gauchisme. Une façon, nous dit Pascal Boniface, d’assimiler l’islam à une menace terroriste, interdisant de critiquer Israël « comme un pays qui occupe une terre qui n’est pas la sienne et réprime dans le sang un peuple qui ne veut pas se soumettre, mais devient la pointe avancée de la guerre contre le terrorisme ».
Le 6 octobre 2024, Pascal Praud, le présentateur vedette de CNews, propriété du milliardaire catholique intégriste Vincent Bolloré, ce laboratoire de la désinformation, a relayé cette logique dans le JDD (propriété du même milliardaire) : « Le 7 octobre a changé ma vie. Je devinais depuis quelque temps : le monde arabo-musulman a déclaré la guerre à l’Occident. Israël est un rempart. » Un occidentalo-centrisme guerrier qui s’accompagne de l’inévitable rappel à l’Holocauste convoqué pour culpabiliser les opposants au conflit et clore toute discussion sur les agissements meurtriers d’Israël.
Pascal Boniface cite un expert de cette rhétorique en la personne d’Alain Finkielkraut, qui, le 24 octobre 2024, dans l’émission Le Club Idée du FigaroTV, lance :
Quoi qu’on pense de la riposte israélienne, le mot génocide est fou, ignoble. Il permet de nazifier les Juifs, de leur faire perdre leur crédit victimaire et ainsi de les faire basculer dans le camp des bourreaux.
Pas sûr que les 6 millions de juifs assassinés lors de la Seconde guerre mondiale envisageaient leur martyre sous forme de « crédit victimaire » dont pourrait se réclamer Israël.
Dans un chapitre bienvenu, l’essayiste s’attarde sur le rôle néfaste du lobby pro-israélien. Il dénonce son implication dans la politique intérieure française :
Le lobby pro-israélien s’est montré hyper efficace pour affaiblir le soutien diplomatique de la France à la cause palestinienne, influencer la classe politique française en faveur du gouvernement israélien, créer une solidarité entre des personnes ayant les mêmes appréciations du conflit, et limiter au maximum la capacité d’expression de ceux qui ne pensent pas comme eux.
Institution agissante du lobby, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) mène le combat de l’assimilation entre antisionisme et antisémitisme. Il trouve des alliés dans la droite, parfois à gauche et dans la macronie à l’exemple d’Aurore Bergé, actuelle ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, qui, le 13 février 2025, lors des Assises contre l’antisémitisme a déclaré : « L’antisionisme, la haine décomplexée d’Israël sont les nouveaux visages de l’antisémitisme. »
Un maccarthysme rampant
Boniface donne à comprendre ce combat comme étant d’abord celui de Nétanyahou qui « a réussi à imposer ce slogan creux dans le débat français, qui sert d’arme de dissuasion massive à toute critique de la politique israélienne à l’égard des Palestiniens et des territoires occupés ».
Chercheur, il fait aussi état de ce maccarthysme rampant qui sévit dans les médias refusant de l’inviter ou de ces campagnes de dénigrement dont il est l’objet ou bien encore de son éviction de la manifestation — qu’il a créée — « Les Géopolitiques de Nantes » par la maire socialiste, Johanna Rolland. « La ville de Nantes, écrit-il, est l’une des rares grandes métropoles à n’avoir toujours pas entamé en 2024 d’action de coopération décentralisée avec une collectivité palestinienne. » Ceci expliquant sans doute cela.
L’auteur veut espérer que « l’histoire sera sévère pour ceux qui sont restés muets face à l’indicible ». Lui ne fait pas partie des adeptes de la cécité volontaire, ni des repentis de la 25e heure, ceux qui s’aperçoivent avec retard que leur « soutien inconditionnel à Israël » les a précipités dans un abîme d’insalubrité morale.
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1Le 1er juin 2025, le chef de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarin, a indiqué sur X que la distribution d’aide humanitaire à Gaza était devenue un « piège mortel »
2Pascal Boniface citant Sophie Bessis dans La civilisation judéo-chrétienne, anatomie d’une imposture, Les Liens qui libèrent, 2025.