
Disons-le d’emblée : les réflexions de celle qui fut rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires avant de devenir secrétaire générale d’Amnesty international n’incitent pas à l’optimisme. Mais cette lecture indispensable, parfois à la limite de l’insoutenable, devrait provoquer un sursaut salutaire en chaque lecteur/lectrice, en nous invitant à ne pas nous laisser emporter par l’émotion, les sentiments, mais à nous accrocher au droit, aux règles judiciaires pour mieux résister aux multiples exactions commises par les États, en temps de guerre, mais aussi de paix.
Agnès Callamard confie pourtant qu’elle-même a failli parfois se laisser submerger par l’émotion, lorsqu’elle fut confrontée à des « disparitions » et à des « exécutions ». Pour revenir au « droit », international, humanitaire, sa méthode se découvre au fil des lignes : énoncer, énumérer, s’entourer. C’est de cette manière qu’elle revient sur deux assassinats qui auraient pu, par leur horreur, lui faire perdre le fil du combat, ceux du journaliste saoudien Jamal Kashoggi et de l’avocat russe Alexeï Navalny1.
Les récits dépouillés, précis, de ces mises à mort nous immergent dans le travail des défenseurs des droits humains. Ils et elles avancent avec précision et ténacité, malgré les menaces, malgré les impossibilités. Leurs seules armes sont le droit international, leur volonté, parfois la chance, souvent la solidarité. Ils et elles savent que, dans la plupart des cas, justice ne sera pas rendue. Mais leurs mots, leurs preuves, leurs rapports publics accompagneront les familles, écriront l’histoire et rendront une autre forme de justice quand celle des magistrats sera empêchée, ce qui est souvent le cas, et pas seulement dans les dictatures.
Le droit international fragilisé
Au fil des pages, on découvre aussi le parcours inspirant d’une femme, d’une militante, avec ses questionnements et un scepticisme érigé en méthode, une façon de résister aux pressions, aux évidences, aux opinions publiques si mouvantes. Jusqu’à penser contre soi-même, pour établir les faits, exiger réparation, même si la victime n’était pas « sympathique », même si ses idées n’étaient pas les « bonnes ». Ainsi Agnès Callamard aura-t-elle réussi à susciter une introspection au sein d’Amnesty International autour du cas « Navalny » que la principale organisation mondiale de défense des droits humains avait décidé de laisser tomber parce que son nationalisme l’avait amené, dans le passé, à des prises de position incompatibles avec les droits humains.
On la voit affronter des épreuves, celles des insultes et des intimidations, parce que les mots qu’elle emploie pour évoquer les dizaines de milliers de morts à Gaza heurtent certains aveuglés. Elle encaisse et ne flanche pas.
Mais en cette année 2025 même le doute finit par gagner les personnes les plus engagées dans la défense de l’humanité. L’infatigable combattante ne peut s’empêcher de s’interroger : le droit, international, humanitaire pourra-t-il sortir indemne des deux principaux conflits en cours, Russie-Ukraine et Israël-Gaza ?
Et pourtant, il faut continuer, envers et contre tout.
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1Militant anticorruption et principal opposant russe au président Vladimir Poutine, Alexeï Navalny est arrêté et emprisonné en 2021. Il meurt dans des circonstances troubles le 16 février 2024, dans une prison du cercle arctique où il venait d’être transféré.